Politique

La  politique,  la  guerre  et  le  communisme  ont  joué  un  rôle fondamental  dans  la  carrière  d’Aleksandar  Petrovic.  Dans  son autobiographie  « Tous  mes  amours  (les  périscopes  aveugles) » (1994,  non  traduit  en  français),  Aleksandar  Petrovic  narre  ses souvenirs  d’enfance  et  d’adolescence.  Notamment,    il  décrit  les années d’occupation Nazie pendant la Seconde Guerre Mondiale, les exodes  répétés  vers  les  villages  proches  de  Belgrade,  la  scolarité décousue,  la  création  d’un  journal  au  caractère  satyrique  avec  sa bande  de  copains.  La  Guerre  et  ses  traumatismes  furent  une expérience formative qui a inspiré les thèmes qu’il a développés dans pratiquement tous ses films.
 
En  janvier  1994,  lors  des menaces  de  bombardement  de  Belgrade pendant  le conflit en ex-Yougoslavie,   Aleksandar Petrovic   adresse une  lettre ouverte à Bill Clinton, Président des Etats-Unis. Son  titre :
« On ne lâche pas de bombes sur ses amis».  
« Monsieur  le  Président  Clinton,  messieurs  du  Congrès,  Monsieur Christopher, il est temps que vous cessiez de menacer les Serbes et la Serbie de bombardements aériens.
Le  bombardement  des  villes  et  le massacre  des  populations  civiles par  des  attaques  aériennes  sont  interdits  par  la  Convention  de Genève.
 Le  dix-sept  Avril  1944,  jour  des  Pâques  orthodoxes,  les  avions américains  ont  lâché  une  bombe  d’une  tonne  sur  un  immeuble  à Belgrade, au 36 de  la  rue Nemanjina que  j’habitais avec ma  famille. La  bombe  a  entièrement  détruit  une  partie  de  cet  immeuble  de  six étages. Avec les voisins, je suis resté plus d’une heure enseveli dans la cave et dans une obscurité totale sous les décombres fumants.
Pour  donner  une  idée  de  ce  que  fut  ce  spectacle,  j’ai  introduit  plus tard  cette  scène  dans  mon  film  “Portrait  de  groupe  avec  dame”, d’après le roman de mon ami le grand écrivain et humaniste allemand Heinrich  Böll.  Seulement  dans  le  film,  j’ai  substitué  Cologne  à Belgrade.  Mais  cela  ne  change  rien  à  la  chose  –  les  avions américains  détruisaient  aussi  implacablement  les  immeubles d’habitation et tuaient la population civile de Cologne. »…. « Au mois de  Mai  1944,  sur  les  trottoirs  de  la  rue  du  Prince  héritier  Pierre, étaient  alignés  les  corps  des  Belgradois. Ces  hommes,  femmes  et enfants  ont  péri  des  bombes  de  l’aviation  alliée.  Il  n’y  avait  aucun objectif militaire  sur  des  kilomètres  à  la  ronde… Courant  printemps 1944,  les  bombardements  alliés  de  Belgrade  ont  fait  sept  mille victimes  civiles  contre,  affirme-t-on,  seulement  onze  soldats allemands! »…
 
Aleksandar Petrovic  assiste  à  la  libération  de Belgrade  par  l’armée soviétique. À  la  fin de  la guerre, en 1944, à  l’âge  de  quinze  ans,  il s’enfuit  de  la maison  pour  rejoindre  les Partisans  de  Tito,  plus  par goût d’aventure que par conviction politique.
Dans  ses  souvenirs  il  évoque  la  Save  recouverte  des  corps  de Serbes,  Juifs,  Tziganes,  communistes  de  toutes  nationalités, assassinés  dans  l’Etat  Indépendant  de  Croatie  et  jetés
intentionnellement  dans  le  fleuve  pour  flotter  en  aval,  avec  souvent des petites pancartes autour de leurs cous indiquant la raison de leur exécution.  Il parle aussi de  l’exécution, cette  fois-ci par  les « bons » Partisans,  de  450  prisonniers  monténégrins,  des  Tchetniks.  Après une  simple  vérification  d’identité,  les  Partisans  de  Tito    les  avaient  fusillés cinq par cinq. Pas de jugement. Beaucoup d’autres scènes de guerre  sont  rentrées  dans  sa mémoire  pour  ressurgirent,  plus  tard, dans ses  films « Tri » et « Portrait de groupe avec dame ». Le  front avait été un carnage : tous les lycéens et les étudiants mobilisés par les  Partisans  communistes,  se  sont  fait  décimer.  A  la  libération  de Belgrade en octobre 1944, une génération avait disparu. Au retour du front, Aleksandar Petrovic,  dégoûté,  arrête  toute  activité  politique  et décide de poursuivre ses études.
Durant  toute  sa  carrière,  Aleksandar  Petrovic  a  exploré  dans  ses films des thèmes politiques et sociaux, et a fréquemment été la cible de reproches du parti communiste yougoslave. Il  pleut  dans mon  village  est  très  rapidement  retiré  des  salles  de cinéma yougoslave, jugé non conforme à l’idéologie communiste. Les dirigents  du  Comité  central  du  parti  Communiste  ont  vivement condamné le film en le traitant du « Film noir ». Ils affirmaient que les propos  que  Petrovic  tenait  dans  le  film  étaient  formellement contraires au programme et à l’idéologie de l’Union Communiste.
Aleksandar  Petrović  commente:  «  Ma  prise  de  position,  dès  le départ, n’était pas politique mais poétique. Les implications politiques qui en découlent sont le résultat de la projection de l’oeuvre artistique dans les sphères sociales. »  
Après avoir  raflé    trois grands prix au  festival de Pula, Le Maître  et Marguerite est présenté au public de Belgrade. Il est qualifié de film anticommuniste. Deux jours après le début de la distribution en salle, le  coproducteur  yougoslave  l’interdit.  C’est  le  début  d’une  longue période de répression dans la culture.
Aleksandar  Petrović  est  accusé  de  crime  contre  l’Etat  et  contre  le Peuple.  Le  prétexte  futile  est  l’affaire  «Plastični  Isus»  (Jésus  en plastique),  film  réalisé par son étudiant Lazar Stojanović. Petrović a autorisé son étudiant à présenter son film de fin d’études au jury sous condition  de  supprimer  les  passages  content  des  images  et  des dialogues  s’attaquant  à  Tito  et  son  régime. Malheureusement  pour Stojanović  (il  a  été  condamné  à  un  an  de  prison)  et  pour  son professeur,  il  ne  suit  pas  son  conseil.  Néanmoins,  il  obtient  la meilleure  note  par  le  jury  de  l’Académie  du  Cinéma.  Le  film  est visionné par les autorités et jugé d’une extrême provocation politique.  En 1973 Aleksandar Petrović est  renvoyé de  l’Académie du Cinéma et son passeport lui est confisqué. Il rentre alors dans une période de disgrâce  en  Yougoslavie  qui  durera  dix-huit  ans.  Il  est  considéré comme  une  personne  dangereuse  et  gênante  pour  le  régime.  Ce n’est  que  dans  les  années  90  que  le  Tribunal  lui  donnera officiellement raison en concluant qu’il s’agissait d’une « inacceptable disqualification politique ». Son statut d’enseignant sera rétabli.

Aleksandar  Petrović  précisera  que  c’était  une machination  politique qui  le  visait  personnellement.  Il  disait  « Tout  pouvoir,  surtout  le pouvoir communiste, souhaite s’approprier des personnes possédant un  renom  international. Ma situation était littéralement grotesque:  les communistes me décernaient  tous  les prix possibles, grands prix au festivals  de  Pula,  Prix  d’Octobre  de  la  ville  de Belgrade,  Prix  du  7 Juillet,  Prix  AVNOJ,  et  en  même  temps  les  mêmes individus m’empêchaient de travailler.  
La  persécution  d’Aleksandar  Petrović  par  le  régime  totalitaire communiste  de  Tito  ressemble  énormément  à  celle  décrite  dans l’excellent film allemand « La vie des autres » de Florian Henckel von Donnersmarck.  Cependant,  contrairement  à  la  Stasi  qui  a  rendus publics  ses  dossiers  publics,  le  dossier  Aleksandar  Petrović   est toujours secret en 2013.

Vlastimir Sudar s’est penché sur l’œuvre et sur la difficile  route  sur  laquelle  s’était  engagé Aleksandre  Petrovic  et  a  écrit  un  précieux document  
Un  portrait  de  l’artiste  en  tant  que  dissident politique  
la vie et l’œuvre d’Aleksandar Petrovic (The life and work of Aleksandar Petrovic Aportrait of the artist as a political dissident – INTELLECT, Bristol, INTELLECT, Chicago 2013)
Travail  très  bien  documenté  sous  forme  d’étude  de  la  carrière mouvementée du cinéaste yougoslave. Un portrait de l’artiste en tant que dissident politique explore  la manière dont Petrovic a développé les thèmes politiques et sociaux dans ses films en réponse aux aléas politiques de son  temps, ces vues antidogmatiques sont par  la suite devenues une signature de son œuvre.
 
Aleksandar  Petrović  a  été  un  des  premiers  intellectuels  serbes  à s’opposer  à Slobodan Milosević.  Il  a  fondé  le  parti  libéral  au  début des années 1990, dont  il est  resté vice-président  jusqu’à sa mort.  Il se voulait “libéral-démocrate” et était opposé aux excès nationalistes et à la guerre. A Belgrade, il prenait la parole sur les places publiques et appelait le peuple à combattre la « bourgeoisie rouge ».
 
Jusqu’à la fin de sa vie, il a sans cesse combattu pour la vérité.  
Il a laissé en témoignage d’innombrables textes non seulement dans le domaine du  film, mais aussi des articles politiques. Les dernières années (les années de guerre en Yougoslavie)  il prenait  la parole, à chaque  occasion  qui  se  présentait,  pour  denoncer  le  régime  de Milosevic,  Izetbegovic (Bosnie), Kucan (Slovénie), Tudjman et Mesic (Croatie)  et  autres  dirigents  qui  se  disaient  démocrates  mes  tous anciens communistes proches du régime de Tito.  
 
FRODON le MONDE 08/08/1991
 
Isabelle  Huppert,  rédactrice  d’une  édition  spéciale  des  Cahiers  du Cinéma  (n˚477),  publie  la  lettre  qu’Aleksandar  Petrović  lui  avait adressée au sujet de la mort de son pays, la Yougoslavie.
 
Cahiers du Cinéma « Ceux qui filment »… Sacha Petrovic
 
Vers  la  fin  de  sa  vie,  Aleksandar  Petrović  a  participé  à  de nombreuses  discussions  politiques  à  la  télévision  et  la  radio françaises.  Il  souffrait  de  l’incompréhension  des  médias  et  était blessé  par  le  mépris  pour  les  Serbes  de  certains  intellectuels  et politiciens  français.  A  sa mort  à  Paris,  en  août  1994,  loin  du  pays dans  lequel  il  avait  créé  la majorité  de  son œuvre,  les  journalistes internationaux  ont  souvent  souligné  l’origine  serbe  d’Aleksandar Petrovic, mais qu’il était opposé politiquement au régime de Slobodan Milosević.  De  fait,  son  opposition  à Milosević  a  souvent  éclipsé  la mention  de  ses  films  dans  les  nécrologies  dans  les  journaux,démontrant  que même  dans  la mort,  la  politique  continuait  à  porter une ombre noire sur sa carrière et son travail (Vlastimir Sudar).
Mort du réalisateur franco-yougoslave Aleksandar Petrovic Paris, 20 août (AFP) 
 
Sous un régime autre et meilleur dans son pays d’origine, le destin d’ Aleksandar Petrovic aurait été autre et meilleur. Aleksandar Petrovic a  justement  lutté pour  l’avènement d’un monde meilleur.