Aleksandar Petrović (Sacha) naît à Paris le 14 janvier 1929. Il s’est toujours considéré cosmopolite, non pas par ses origines, serbes, mais par le vécu de ses ancêtres qui ont toujours eu des liens très forts avec la France.
Adolescent, il se passionne déjà pour la lecture et l’écriture. Il se plaît à imaginer les personnages et leurs tragédies et les endroits où l’histoire se déroule.
En 1947, son frère aîné meurt tout comme son petit frère douze ans auparavant. Ces morts se sont profondément ancrées dans la mémoire d’Aleksandar pour ne jamais le quitter. La mort est présente dans tous ses films, même les courts-métrages. Il part à Prague après son baccalauréat et s’inscrit à l’Académie du Film (FAMU), cependant il est contraint d’interrompre ses études en 1948 pour des raisons politiques (la résolution de l’Informbiro et les désaccords entre la Yougoslavie et l’URSS), et rentre à Belgrade. Trois mois après son retour, son père meurt d’une crise cardiaque dans un train. Se sentant responsable de famille il débute comme assistant metteur en scène, puis comme metteur en scène et scénariste. Il poursuit ses études à la Faculté de Philosophie à Belgrade et obtient un diplôme en l’Histoire de l’Art. Il écrit aussi pour les journaux des critiques d’art et de cinéma. Début 1955, d’anciens collègues de son père de l’Ecole des Ponts et Chaussée lui octroient une bourse pour passer six mois en France. Il rencontre alors Luis Buñuel.
1955 – réalisation, conjointement avec Vicko Raspor, du film documentaire Côte à côte (Uz druga je drug). Il obtient son premier prix pour la réalisation au Festival de Pula 1956 (Yougoslavie).
1957 – il réalise son premier court-métrage Entre le ciel et le marais (Let nad močvarom) d’après son propre scénario. Le film représente pour la première fois la Yougoslavie au Festival de Cannes. Le film est remarqué et primé (Prix de la critique au Festival de Pula).
Toujours en 1957 il réalise Petar Dobrović, un court-métrage sur la vie et l’oeuvre du peintre serbe.
1958 – La seule issue (Jedini izlaz) – film réalisé conjointement avec Vicko Raspor. C’est le seul film qu’il n’appréciait guère.
A partir de 1958, Aleksandar Petrovic travaille pour tous ses films sur le scénario, les dialogues, le choix de la musique et évidemment la mise en scène. Il devient un auteur complet de ses films.
1958 – Les chemins (Putevi)- court-métrage, film sur la vie et l’oeuvre du peintre serbe Sava Sumanović. Grand prix au Festival de Pula, Grand Prix de la ville de Tours.
1960 – La guerre à la guerre (Rat ratu) court-métrage, film sur la lutte ouvrière en Serbie jusqu’à la deuxième guerre mondiale.
1961 – Elle et lui (Dvoje). Ce film marque le début du cinéma yougoslave moderne. Aleksandar Petrović traite de manière intimiste et poétique les relations amoureuses et tourmentées d’un couple. C’était la première œuvre d’une cinématographie socialiste qui, par son expression intime, correspondait également au développement le plus exclusif de la pensée cinématographique mondiale moderne (“nouvelle vague”). Cela a été souligné par les critiques français et italiens en 1962 à l’occasion de la projection de Elle et lui en sélection officielle au Festival de Cannes.
25 juillet 1961: naissance de son fils unique, Dragomir (Dragan) qui souffre d’une encéphalite et en garde un handicap très sévère. Aleksandar Petrović s’est toute sa vie durant consacré à son fils, veillant à ce qu’il ait une enfance la plus normale possible. Avec Branka, son épouse, Aleksandar a emmené Dragan dans le monde entier pour lui procurer les meilleurs traitements qui existaient à l’époque. De nombreux choix professionnels ont été liés à l’avenir de Dragan.
1962 – Aleksandar Petrović est nommé professeur à l’Académie de cinéma, Théâtre et Télévision de Belgrade. Il tient la chaire de la mise en scène.
1963 – Les jours (Dani). Ce film intimiste est une méditation sur la solitude rompue par la brève rencontre d’une femme mariée et d’un étudiant. Les films Elle et Lui et Les jours ont tous deux grandement ébranlé la cinématographie yougoslave socialiste, comme les premiers films intimistes qui n’étaient pas de la de propagande. La presse occidentale a qualifié Petrović de porte-parole du nouveau cinéma en Yougoslavie. La presse yougoslave parle de la décadence capitaliste et de la connivence avec l’Ouest décadent. Le nouveau regard de Petrović dérange. Aleksandar Petrović ne s’attendait pas à tourner facilement un autre long-métrage. Il est revenu à ses films documentaires et court-métrages.
1964 – Procès verbal (Zapisnik) Le film est un documentaire sous forme d’un journal télévisé qui montre des faits divers, une sorte de constat d’actualité. Petrović voulait ainsi dénoncer le journal télévisé propagandiste yougoslave de l’époque.
1965 – Petrović réalise le documentaire Kermesses (Sabori). Il filme les personnages, l’église, les fresques, le mariage, le bébé qui tète. Ce court-métrage, qui reste intemporel, est un exercice de maître qui a certainement inspiré Aleksandar Petrović pour les films qui ont suivi.
1965 – Aleksandar Petrović trouve l’inspiration pour son troisième film Tri (Trois) dans un recueil de contes de l’écrivain yougoslave Antonije Isaković. A l’opposé de la glorification du patriotisme face à l’ennemi nazi, le thème préféré du cinéma yougoslave de ces années-là, Aleksandar Petrović s’attache à dénoncer l’horreur et l’absurdité de la guerre. «Tout le film est le regard d’un homme sur la guerre et le regard d’un homme sur la mort à travers la guerre.» A.P.
«Le chef-d’œuvre» La Stampa
“Une des plus stimulante surprises du Festival de New York.” World Journal Tribune
“Ce film d’une grande beauté élève Petrović au rang des meilleurs réalisateurs contemporains. Il n’est pas exagéré de qualifier “Trois” de chef-d’oeuvre, et Petrović de maître du cinéma…” Tribune de Geneve G.B 1976.
Tri est un succès mondial. Aleksandar Petrović est invité à tous les grands festivals et primé. Il rafle les grands prix aussi bien dans son pays qu’à l’étranger. Tri est sélectionné pour l’Oscar du meilleur film étranger de l’année 1966.
1967 – J’ai même rencontré des tziganes heureux (Skupljači perja). C’est le premier film qui dépeint l’existence des Roms dans la société et dans la vie. C’est le premier film dans lequel les Tziganes parlent leur propre langue, le Rom. La majorité des rôles est interprétée par des Roms. C’est leur film.
«Comme enfant, je les ai observés et j’ai trouvé dans ces gens, la foi et l’irrationnel.» A.P.
«Le chef-d’œuvre d’Alexandre Petrović est le plus bel hommage à la liberté de la personnalité.» Le Combat-Henri Chapier
“Un grand et beau film, poétique, mélancolique, chaleureux, tendre, fort. Je m’excuse pour cette série d’épithètes, mais je pourais en ajouter encore une vingtaine d’autres…”Le Nouveau Candide– Michel Aubriant
J’ai même rencontré des tziganes heureux remporte de nombreux prix parmi lesquels le Grand prix spécial du jury au festival de Cannes en 1967 et le FIPRESCI, toujours à Cannes, Prix décerné tous les ans à un film d’un festival international par la Fédération Internationale de la Presse Cinématographique. Il est sélectionné et nominé en 1968 pour l’Oscar du meilleur film étranger pour l’année 1967, nominé pour le Golden Globe du Meilleur film étranger et nominé Meilleur film étranger par la «Hollywood foreign Press Association» 1968 aux Etats-Unis.”
En 1968, après J’ai même rencontré des tziganes heureux, Aleksandar Petrović devient pour les producteurs européens et américains un réalisateur de renommée internationale. La compagnie des Artistes Associés à Paris veut faire un film avec Petrović. Il propose le sujet.
Il pleut dans mon village (Biće skoro propast sveta nek propadne nije šteta) inspiré par un fait divers (le père prend sur lui la culpabilité d’assassinat pour lequel est accusé son fils) et par «Les possédés» de Dostoievski. Petrović découvre que le sujet et les éléments qui rentrent dans la construction de son film sont le produit de l’actualité politique et sociale du moment. C’est un film musical, mêlé de fantastique qui diffère des autres films par “sa structure interne” et le traitement formel.
Il pleut dans mon village est en fait aux antipodes de J’ai même rencontré des tziganes heureux. Il dévoile le problème de la liberté dans un monde sans liberté, encadré par les traditions, les moeurs et les restrictions de genre social et psychologique. Le film a été présenté en selection officielle à Cannes, primé au festival de Pula, mais a été retiré du répertoire en Yougoslavie, dès sa sortie dans les salles, de toute évidence pour raisons politiques. “Un chef-d’œuvre authentique.” Nouvel Observateur – Michel Maurdor.
Avant d’avoir tourné son dernier film Migrations, Aleksandar Petrović considérait le film Il pleut dans mon village comme son meilleur film.
En 1969, André Malraux remet la médaille de l’ordre de Chevalier des Arts et des Lettres à Aleksandar Petrović. C’était la première fois qu’un artiste yougoslave recevait cet honneur.
1972– A la fin des années soixante, d’autres réalisateurs yougoslaves ont traité des sujets intimistes préférant le quotidien au passé et à la propagande communiste, ce qui déplaisait beaucoup aux autorités. C’est l’époque de la «vague noire». Petrović ne pouvait pas espérer trouver un producteur yougoslave pour soutenir son nouveau projet. Profondément persuadé du fort lien entre la littérature et le cinéma, il se tourne vers la littérature russe. Il est attiré par l’œuvre de l’écrivain russe Mikhaïl Boulgakov et tout particulièrement par le roman «Le Maître et Marguerite» l’un des livres clé de la littérature du XXe siècle. Le film est produit par des Italiens, avec la participation de Yougoslaves.
“Tout pouvoir sera toujours une violence exercée contre les hommes…” Mikhaïl Bougakov
Le diable à Moscou…
“Certains peuvent croire à l’existence du Diable, d’autres, s’ils le veulent, peuvent proclamer que le Maître, Boulgakov et moi-même nous l’avons seulement rêvé. Je ne sais pas ce que le Maître et Boulgakov auraient pu dire à ce propos, car ils sont morts tous deux, mais je suis plus enclin à croire en l’existence du Diable qu’à ne pas y croire». A.P.
Le Maître et Marguerite a été extrêmement apprécié dans les pays d’Europe de l’Ouest et aux Etats-Unis, et a reçu de nombreux prix dont: au Festival de Venise en 1972: le Lion d’Argent (le Lion d’Or avait été supprimé), CIDALC – le prix d’adaptation d’une oeuvre littéraire et Plaquette d’Or San Marco – Hugo d’Argent au Festival de Chicago, décerné pour l’adaptation et transposition visuelle du thème de Boulgakov ainsi que pour la performance d’acteur d’Alain Cuny.
Le Prix de la biennale de Vienne (sélection pour les meilleurs films de l’année), le Grand Prix Cinéma 73-74 du magazine Elle (enquête faite par le journal auprès des lecteurs pour le meilleur film de l’année), le Grand prix du meilleur film, le Grand prix de la mise en scène, le Grand prix de la meilleure interprétation masculine au festival de Pula.
Le Maître et Marguerite: Lyrisme et magie. Le film a la pesanteur tranquille des chef-d’œuvres… un film qu’il faut voir et revoir. Jacques Doniol-Valcroze – L’Express
Le Maître et Marguerite – Un maître film. Le metteur en scène Yougoslave Aleksandar Petrović n’a pas trouvé le roman à Moscou où il est interdit tout comme les oeuvres d’autres intellectuels. Il a dû tourner son film en partie en Italie, s’installer en France. Depuis quelque temps, il est en disgrâce dans son propre pays dont il est pourtant reconnu comme le plus grand cinéaste. C’est décidément dangereux de prendre pour sujet la liberté artistique face aux exigences incontrôlées du pouvoir. France Soir – Robert Chazal.
“Il y a dans sa réussite plus que du talent: cette passion indispensable pour que les bons films devient de grands films.” Le Journal du Dimanche – Pierre Billard
Après avoir raflé trois grands prix au festival de Pula (Yougoslavie) Le Maître et Marguerite est présenté au public de Belgrade. Il est qualifié de film anticommuniste. Deux jours après le début de la distribution en salle, le coproducteur yougoslave l’interdit. C’est le début d’une longue période de répression dans la culture.
1973- Aleksandar Petrović est accusé de crime contre l’Etat et contre le Peuple. Le prétexte futile est l’affaire «Plastični Isus» (Jésus en plastique), film réalisé par son étudiant Lazar Stojanović. Petrović avait autorisé son étudiant à présenter son film de fin d’études au jury sous condition de supprimer les passages avec des images et des dialogues s’attaquant à Tito et son régime. Malheureusement Stojanović ne suit pas son conseil et est condamné à un an de prison. Il obtient néanmoins la meilleure note du Jury de l’Académie. Le film est visionné par les autorités et jugé d’une extrême provocation politique.
Aleksandar Petrović est renvoyé de l’Académie du cinéma et son passeport lui est confisqué. Il rentre alors dans une période de disgrâce en Yougoslavie qui durera dix-huit ans. Le régime le considère comme gênant et dangereux pour le régime.
Commencent alors des années difficiles pendant lesquelles Aleksandar Petrović doit survivre sans tourner. Dragan a besoin d’une rééducation physique spécialisée intensive et la famille Petrović part à Budapest (la police yougoslave rend finalement le passeport). Aleksandar Petrović, qui est aussi de nationalité française, s’installe en France où vivent sa soeur et sa mère, et où il peut continuer à travailler. II partage son temps entre la Hongrie et la France. A Paris, il est aidé par le milieu cinématographique et sa famille le soutient. Il écrit des scénarios pour des projets comme Cœur de chien d’après le roman de Boulgakov, Benia le roi d’après les nouvelles «Les Contes d’Odessa» de l’écrivain russe Isaac Babel et beaucoup d’autres.
Ce n’est que dans les années 90 que le Tribunal de Belgrade lui donnera officiellement raison en concluant qu’il s’agissait d’une « inacceptable disqualification politique». Aleksandar Petrović précisera que c’était une machination politique qui le visait personnellement. Son statut d’enseignant sera rétabli.
La persécution d’Aleksandar Petrović par le régime totalitaire communiste de Tito ressemble énormément à celle décrite dans l’excellent film allemand « La vie des autres » de Florian Henckel von Donnersmarck. Cependant, contrairement à la Stasi qui a rendus publics ses dossiers publics, le dossier Aleksandar Petrović est encore tenu secret au jour d’aujourd’hui..
1975-76 Aleksandar Petrović écrit le scénario Banović Strahinja (Soko) d’après un poème médiéval, qui est primé au Festival de Pula. Le film était réalisé par Vatroslav Mimica.
1977 – Dès la parution du livre «Portrait de groupe avec dame» de l’auteur allemand Heinrich Böll (Prix Nobel de littérature) Aleksandar Petrović prend une option sur les droits d’adaptation. Heinrich Böll, après avoir visionné Le Maître et Marguerite, accepte de collaborer avec lui sur le scénario. Les”Artistes Associés” posent la condition: “Si vous avez l’accord de Romy Schneider, nous finançons le film.”
Romy dira “Oui”…
Portrait de groupe avec dame a représenté l’Allemagne au Festival de Cannes en 1977. Le film est nominé pour la Palme d’or et Le prix du Jury Œcuménique. Romy Schneider a reçu le Prix «Bobine d’or» German Film Awards prix de la meilleure actrice allemande et le film Portrait de groupe avec dame, Le Prix «Bobine d’Argent».
Tout en résidant à Paris Aleksandar Petrović maintient des liens avec Belgrade. Tous les scénarios qu’il propose aux producteurs yougoslaves lui sont systématiquement refusés. Il monte deux pièces de théâtre, d’après des romans de Boulgakov: en 1979, pour le théâtre Atelier 212 à Belgrade, Cœur de chien et en 1982 Le Maître et Marguerite pour le théâtre national de Belgrade.
1979, le prestigieux théâtre Atelier 212 à Belgrade présente Cœur de chien. La pièce connait un énorme succès et reste longtemps à l’affiche.
1981 Banović Strahinja – Aleksandar Petrović propose le scénario Banović Strahinja à Avala Film, d’après un poème épique, s’attendant bien entendu à réaliser le film. La société de production donne cependant la mise en scène à un autre cinéaste, Vatroslav Mimica, une forme de banissement atténué pour Aleksandar Petrović. Le film a été présenté au Festival de Pula. Les critiques ont dit qu’il s’agissait du meilleur scénario écrit d’après une oeuvre littéraire yougoslave. Le film a d’ailleurs reçu le prix pour le meilleur scénario d’adaptation d’une oeuvre littéraire au festival du film de Vrnjačka banja en1981. Banović Strahinja a été présenté hors compétition au festival du film de Venise en 1981. (titre français: La vengeance du faucon)
1982 Aleksandar Petrović monte Le Maître et Marguerite pour le théâtre national de Belgrade. Sur un grand ecran sont egalement présentées les scènes de son film. La pièce Le Maître et Marguerite n’était pas, d’après Petrović une révolte contre l’interdiction du film comme la presse l’avait suggéré mais d’après lui une expérience de «diversification de la mise en scène».
Aleksandar Petrović continue à se battre pour le cinéma. Il est fondateur et membre de l’Académie Européenne du Cinéma et de la Télévision. Il préside, ou est membre de jurys de nombreux festivals internationaux et nationaux, membre de la SACD, co-fondateur et président du «FEST», festival des meilleurs films étrangers à Belgrade, président de l’association des cinéastes yougoslaves.
«Les migrations existent. La mort n’existe pas!» Miloš Tsernianski
Enfin, en 1987, Aleksandar Petrović tourne Migrations (Seobe).
Le film est inspiré du célèbre roman de l’écrivain serbe Miloš Tsernianski, Prix du meilleur livre étranger en France pour l’année 1986. Petrović a travaillé sur ce projet depuis 1957, lorsqu’il a contacté Tsernianski qui était exilé à Londres et ce n’est qu’à son retour à Belgrade que l’adaptation s’est précisée. Après tant d’années Petrović dirige Isabelle Huppert, Richard Berry et Avtandil Maharadzé (l’acteur géorgien de Repentir) qui forment le trio central de l’histoire. Il est heureux!
C’est une réalisation spectaculaire à deux destinations: un long métrage de cinéma sur la première partie de l’œuvre, une série télévisée en huit épisodes pour la deuxième partie.
«Je suis de ceux qui ont toujours cru que Migrations était une œuvre capitale. J’avais très envie de la porter à l’écran, d’abord parce que c’est une histoire formidable dont les héros sont des marginaux d’Europe centrale au XVIIIe siècle et les marginaux sont toujours intéressants. Ensuite je lui trouve beaucoup d’actualité, il y a un parallélisme frappant entre cette époque et la notre, temps de migrations et de brassages, où les règles anciennes sont tombées en désuétudes sans qu’apparaissent de nouvelles loi, où les valeurs stables se sont perdues et où les gens vivent dans le désordre et l’indiscipline, à la recherche de queque chose d’autre qui n’est pas encore né. C’est le besoin de changement et cette confusion des grands moments de mutation que je cherche à exprimer en gardant le ton rhapsodique de l’écrivain.» A.P. Figaro Magazine G. Suffert 1986
«Petrović a réalisé une fresque lyrique et baroque d’une force stupéfiante. Une sorte de torrent romanesque apocalyptique emporte les personnages dans le fracas des batailles et des atrocités, dans la mélancolie des espoirs massacrés et des amours désespérés. Il fallait l’immense talent du réalisateur de “J’ai même rencontré des Tziganes Heureux”, du “Maître et Marguerite” et de “Portrait de groupe avec dame” pour mener à bien cette entreprise magnifiquement folle et audacieuse. C’est un grand film cosmique plein de bruit et de fureur.» Jacques Doniol-Valcroze, co-scénariste
Le dernier jour du tournage en Yougoslavie s’est achevé à l’aube du 9 Novembre 1987. Aleksandar Petrović rentre chez lui pour trouver son fils Dragan de 26 ans mourant. Dragan a été enterré au cimetière du Père Lachaise à Paris, dans le caveau de la famille Petrović où il repose aujourd’hui aux côtés de son père et de sa grand-mère Anka.
Aleksandar Petrović trouve la force de continuer à travailler et termine le tournage en Tchécoslovaquie. Il dédie Migrations à Dragan. Cependant, des problèmes avec les producteurs français, puis la disparition d’Aleksandar Petrović font que Migrations (version française) n’est toujours pas sorti en France.
Seobe (version serbe de Migrations), est sortie à Belgrade en 1994, sous le régime de Milošević, qui était persuadé que le film serait une bonne propagande pour les Serbes. Cependant, une fois qu’ils se sont aperçu que ce n’était pas un film de propagande, il a été retiré des salles.
”Il faut rendre au film sa vraie dimension, atteindre par le biais du spectacle l’âme aussi bien que les yeux.” A.P.
Aleksandar Petrović avait foi dans les gens. Curieux de tout, il aimait la vie, ses proches, ses amis, les tziganes, tous les hommes, les animaux, les chevaux, les chiens, les espaces, les marais, la beauté, qu’il trouvait même dans la laideur, la peinture, la musique, la bonne chaire. Il ne supportait pas le mensonge, la médiocrité, la passivité, l’intolérance, l’injustice, la souffrance, la guerre, la mort. Aleksandar Petrović a été une personnalité exceptionnelle dotée d’une force d’esprit et d’un don artistique, infatigable combattant pour la liberté et la justice. Sa route a été difficile, il a franchi d’énormes obstacles grâce à son extraordinaire énergie et sa foi dans les êtres, et a réussi à aller en avant. Il a été modeste, honnête, indulgent, charitable, miséricordieux (un mot qu’il aimait), doté de sentiments nobles. Dans son travail, il a été exigeant, perfectionniste, cinéaste minutieux. Aleksandar Petrović a travaillé avec les plus grands acteurs de renommée internationale comme Romy Schneider, Annie Girardot, Mimsy Farmer, Isabelle Huppert, Ugo Tognazzi, Alain Cuny, Bernard Blier, Michel Galabru, Brad Dourif, Richard Berry, Avtandil Maharadze, Erland Josephson et avec des grands du cinéma yougoslave comme Velimir Bata Zivojinović, Eva Ras, Bekim Fehmiju, Mija Aleksić, Pavle Vujisić, Ljuba Tadić, Dragomir Gidra Bojanić, Dragan Nikolić, Miki Manojlović, Olivera Vučo, Milena Dravić et beaucoup d’autres. Volontaire, précis, ouvert aux hommes, il savait gagner la confiance et le respect de ses collaborateurs et acteurs.
Richard Berry parle d’Aleksandar Petrović-Sacha: “J’adore la manière avec laquelle Sacha Petrović comprend tout, voit et est capable de parler du chapelet que vous avez, de la bague, des chaussettes, de la poche dont vous avez besoin… comme du mouvement de la caméra, de l’éclairage, de la nourriture que nous allons manger… Je crois que je n’ai jamais connu de tel metteur en scène… il est brillant. Complètement ouvert vers les hommes il sait comment gagner le respect et la confiance de ses collaborateurs, celles des acteurs ainsi que les miens parmi les leurs…”
Igor Luther (directeur de l’image déjà connu pour son travail dans le film de Volker Schlöndorff Le Tambour) parle d’Aleksandar Petrović: “Sacha Petrović a de l’inspiration et j’ai l’espoir que nous allons faire un film de valeur, celui que tous le monde a envie de voir… J’aime beaucoup le style qui n’est pas narratif, et le fait que Sacha a une approche subjective de la thématique de Migrations, n’exposant pas uniquement les images et les faits historiques. Le tournage de Migrations est une entreprise d’une importance et d’une envergure exceptionnelles, il exige des efforts particuliers, de la concentration et de l’énergie, il va durer longtemps, avec le changement permanent des visages, de paysages et de saisons. Cela m’enchante. Je suis très heureux…”
Aleksandar Petrović a été un des premiers intellectuels à s’opposer à Slobodan Milošević. Il a fondé le parti libéral au début des années 1990, dont il est resté vice-président jusqu’à sa mort. Il se voulait “libéral-démocrate” et était opposé aux excès nationalistes et à la guerre.
Il a été un combattant inébranlable, plein d’espoir. Pour lui, toute indifférence était un pêché. Il avait une force physique inépuisable et étonnante. Il a été un homme rare, unique. Jusqu’à la fin de sa vie, il a sans cesse combattu pour la verité.
Trois semaines avant la première de Migrations en Yougoslavie, Aleksandar Petrović s’écroule. Atteint d’une tumeur au cerveau, il meurt à Paris le 20 Août 1994, après une agonie de quatre mois. Il repose aujourd’hui auprès de son fils Dragan et sa mère Anka au cimetière du Père Lachaise.
Si l’on n’aime pas les hommes, on ne peut pas réaliser de films.
Aleksandar Petrović
Le Festival de films d’auteurs de Belgrade (FAF) a été créé en 1995 en l’honneur d’ Aleksandar Petrović. Le Grand Prix porte le nom «Aleksandar Saša Petrović».
Le nom Aleksandar Petrović figure dans de nombreuses encyclopédies et ouvrages spécialisés mondiaux. De même, son travail est toujours l’objet d’études et thèses universitaires dans les départements d’études cinématographiques de beaucoup d’universités renommées. Les films d’Aleksandar Petrović sont toujours diffusés dans le monde entier. Il a réussi à s’affirmer comme auteur complet de ses oeuvres et de devenir un exemple.
Il a laissé en témoignage d’innombrables textes non seulement dans le domaine du cinéma, mais aussi dans les domaines de l’art, l’esthétique, la littérature. A travers son œuvre, il était, et demeure, un théoricien du cinéma estimé. De nombreux auteurs réputés de l’histoire du cinéma ont écrit des livres ou chapitres de livres consacrés à son œuvre.
Aleksandar Petrović, a révélé peu avant sa mort des poèmes émouvants dédiés à son fils, qu’il avait gardé pour soi pendant des années. Il s’est décidé à les publier, accompagnés de textes de mémoires personnelles sous forme du recueil qui est paru quelques mois après son décès: «Tous mes amours les périscopes aveugles».
«Tous ces films tournent autour de la mort. Deux évoque la mort de l’amour, Les jours, la mort d’une rencontre, d’un sentiment, Trois parle de la mort au cours de la guerre; trois mort insensées. Si j’y pense, J’ai même rencontré des Tziganes heureux, Il pleut dans mon village, Portrait de groupe avec dame ont tous le même leitmotiv, la mort». A.P.
Il n’a pas eu le temps de mentionner Migrations, dans lequel l’amour et la mort atteignent l’apothéose.
Radmila Petrović Čvorić
Paris 08 février 2013
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